Fragment dun brouillon autographe dans lequel Sartre, à travers lévocation de Julien Sorel le héros du Rouge et le Noir de Stendhal, livre quelques réflexions sur le métier décrivain et son engagement.... Il ne gênera personne, il ne sadressera à personne. On lui a accordé davance tout ce quil demande. Mais à lordinaire lécrivain, même sil gagne des lauriers éternels, parle à ses contemporains, à ses compatriotes, à ses frères de race ou de classe. Il leur parle de problèmes concrets qui se situent dans des cadres historiques. Les hésitations de Julien Sorel, ce sont les mouvements de cœur éternels dun pauvre ambitieux, je le veux bien. Mais pas dabord : croit on quon puisse les transporter toutes crûes de son époque à la nôtre ? Est il un seul de nos jeunes gens pour balancer entre luniforme et la soutane ? Julien Sorel, aujourdhui, serait fils de bourgeois. Son ambition ne serait pas déchapper au destin de fer qui pèse sur la classe paysanne dans les sociétés à caste, mais de sortir sain et sauf du naufrage de la classe dirigeante ; il ne se demanderait pas sil doit embrasser la prêtrise mais sil doit entrer au parti communiste. Son arme ne serait pas lhypocrisie, arme de faible et dopprimé arme de prêtre aussi mais un certain genre de mauvaise foi conquérante que nous connaissons bien. Ses débats intérieurs nauraient ni la même portée ni la même couleur. Il ne sagirait pas tant pour lui de savoir sil doit mentir aux autres que de décider sil se mentira à lui-même. Pour comprendre le héros de Stendhal, il faut le replacer dans une Europe blessée, retentissant encore du bruit des canons impériaux, déjà maîtrisée par la violence cauteleuse de la Sainte Alliance, dans une France vaincue mais encore enivrée de gloire, restée voltairienne en quelques lieux et recouverte partout ailleurs par la marée noire et gluante de la Congrégation. Sans doute fut il un modèle pour les contemporains de Taine puis pour ceux de Barrès ; mais sil atteint à luniversel ce nest pas dabord ni dune manière si facile à entendre. Pour saisir le rapport du particulier au General dans lœuvre dart, il faut méditer ce mot de Goethe, cité par Gide et que je restitue de mémoire : cest en devenant le plus soi-même, en se faisant le plus individuel, quon atteint le plus sûrement à luniversalité. Lœuvre languit si luniversel est visé pour lui-même ; si vous ne le cherchez pas, il est là, à lhorizon comme un appel perpétuel, comme une perpétuelle possibilité de dépasser le donné, qui se propose à chaque lecteur et à chaque génération. Et pareillement, lorsquun auteur dhistoire en faisant œuvre, il ne faut pas quil ait en vue ce lecteur abstrait qui transcende les siècles et survole lhistoire. Tout lecteur est dune époque, tout lecteur est historique...Auteur prolifique, Jean-Paul Sartre est autant connu pour son œuvre, notamment ses paradigmes philosophiques que lon regroupe sous le nom dexistentialisme, que pour son engagement politique, de gauche radicale. Après la Libération, Sartre connaît un succès et une notoriété importantes ; il va, pendant plus dune dizaine dannées, régner sur les lettres françaises. Prônant lengagement comme une fin en-soi, la diffusion de ses idées se fera notamment au travers de la revue quil a fondée en 1945, Les Temps modernes. Sartre y partage sa plume, avec entre autres, Simone de Beauvoir, Merleau-Ponty et Raymond Aron. Dans le long éditorial du premier numéro, il pose le principe dune responsabilité de lintellectuel dans son temps et dune littérature engagée.
Reference : 5780
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