‎Lucien PSICHARI‎
‎Le chien et la pierre. Envoi de l'auteur.‎

‎Paris Calmann-Lévy 16 avril 1956, in-12, broché, 293p. Edition originale sur papier courant. Double envoi de l'auteur, l'un à Pierre Pirard, l'autre à Jacques Chabannes sur la page suivante. Couverture légèrement défraîchie. ‎

Reference : 85313


‎Arrière - petit - fils de Renan, petit-fils d'Anatole France et de Noémie, neveu d'Ernest et d'Henriette Psichari, petit-fils et fils de Jean, de Michel, tous hommes et femmes de plume et de pensée, M. Lucien Psichari n'est pas écrasé sous ces hérédités un peu lourdes, bien qu'aériennes. On avait pu lire, de lui, un joli volume filial, Ma Suzon chérie, sur sa mère, la fille d'Anatole. Mais le voici qui fait, avec un roman, le Chien et la Pierre (1), ses vrais débuts, en homme mûr, ayant attendu la proche cinquantaine pour dire ce que personnellement il avait à dire. C'est très bon, et cette lecture m'a ravi, non comme un succédané de France et de Renan, mais dans la mesure où la manière de sentir et la façon de penser de ces hommes libres peuvent encore animer un homme d'aujourd'hui, l'ont aidé à traverser les épreuves d'hier et à continuer d'aimer la vie en attendant celles de demain. On ne peut nier le caractère individuel de cette éthique, mais on nous a tant rebattu les oreilles pendant l'occupation, la révolution nationale, et, depuis, avec la nécessité d'une morale générale et d'une politique assortie, entre l'obéissance passive dirigée et l'anarchie pieuse et partisane d'hommes de différents credo qui ne peuvent s'accorder pour un bien commun, qu'une morale privée, d'humaniste, à qui est capable de s'en faire une, à la fois généreuse et raisonnable, parait encore bonne à recommander. Il s'agit de se sauver soi-même, comme Montaigne l'a fait dans sa tour, où sa sagesse personnelle, longuement cherchée et trouvée, a aidé beaucoup d'autres à établir leur équilibre, qui est une façon de se sauver. M. Lucien Psichari est cet humaniste, formé par les siens ; nourri justement de Montaigne, dont il dit avoir plusieurs exemplaires disposés sur divers rayons de sa bibliothèque, pour lui revenir et le prier de ramener son esprit au vrai, entre deux voisinages excessifs de livres noirs à neutraliser. C'est ne pas redouter l'encombrement, et je ne sais comment fait M. Psichari, qui aime certainement les livres, à voir la façon dont il parle des siens, de ses Maximes de 1664 et de son Jacques le Fataliste original. Et de plus il est historien, ce qui exige beaucoup de place pour loger les spécialistes au complet, Augustin Thierry, Michelet et Lavisse, et les mémorialistes innombrables. Cependant, malgré ses études suivies et poussées, et ses méditations sur le thème du recommencement éternel et de notre présent " qui n'est qu'un aboutissement sans fin ". Lucien Psichari ne travaille pas l'histoire pour la récrire : il ne s'intéresse à elle que pour la revivre, au point de se prendre lui-même pour tel ou tel, et s'imaginer ce qu'il eût fait à la place d'Henri IV ou de Louis XV. Voyez le chimérique : 11 aurait voulu être un roi aimé. Les monarques commencent quelquefois ainsi, comme Louis XV jusqu'à quarante ans, comme Louis XVI. si bon homme et si bien intentionné, pour si mal finir. Lucien Psichari en convient, malgré sa sympathie et sa bienveillance ; mais cela ne l'empêche pas d'observer d'un de ses héros, un bon et sage libéral, de 1890 ou 1900, qu'il aurait certainement voté la mort du roi à la Convention ; comme il y a de nos jours encore des fanatiques pour proclamer qu'ils l'auraient fait. Il fallait cette tête coupée pour se couper soi-même de tout ce qui avait précédé. C'était le point de vue de Danton, et c'est encore celui de M. Jean Cassou. Voir ce qu'il dit à ce propos, dans son introduction à une des dernières œuvres complètes de Saint-Just, le verseur de sang au nom du bonheur, cette idée neuve pour le peuple. Le Chien et la Pierre, de M. Lucien Psichari, est un roman, s'il faut en croire la couverture du volume ; mais je n'en crois rien, m'étant pris moi-même un jour à ce piège, au point d'avoir aussi intitulé roman ce qui n'était que les souvenirs d'un enfant, de sa nature romanesque. Cette expérience me permet de dire qu'aménageant ainsi ses souvenirs, on n'invente et ne fabule rien : par un coup de pouce, çà et là, ou en ne choisissant que le plus heureux, on se contente d'embellir. Voilà en somme ce que j'aime dans le livre lucide et charmant de M. Lucien Psichari, historien qui sait sourire et mémorialiste accompli. Je ne me charge pas de démêler, autour d'un héros supposé, dénommé Philippe, ce qu'il entre de réalité immédiate et de vérité directe dans les personnages mis en scène, le père, la grand'mère, la mère et les familiers habituels de la maison. Qui a lu Anatole France et la partie quasi autobiographique de son œuvre, le Petit Pierre, la Vie en fleurs et maints passages personnels de la série des Bergeret pourra retrouver la veine commune ou le récit de M. Psichari prend sa source. On a divorcé beaucoup dans cette famille jacobine, et, première bénéficiaire de l'institution du divorce, la grand'mère de Philippe Després, Mme Montel, fille d'un préfet du Second Empire, a pu tenir qu'il n'y avait de bons mariages (sinon de délicieux, selon La Rochefoucauld) que depuis qu'on avait donné cette possible sortie de secours aux emmurés d'avant Naquet. Il est de fait que M. France avait divorcé pour des raisons qu'on entrevoit dans le Mannequin d'osier, et que, las des jérémiades domestiques, il avait une fois pour toutes déserté le domicile conjugal sans prendre le temps de quitter seulement sa robe de chambre, son écritoire sous le bras. Sa fille aussi, la " Suzon chérie ", devait pareillement changer d'époux, avant de devenir Mme Michel Psichari, mère de Lucien ; comme le grand-père Jean et la grand'mère Noémie s'étaient également séparés. Que de complications dans ces familles républicaines. Elles n'affectent pas seulement l'état civil, elles intéressent aussi les sentiments. Dans la partie la plus spécialement romanesque de son roman, M. Lucien Psichari se souviendra de ces antécédents familiaux pour peindre le désaccord matrimonial de son alter ego Philippe Després et de la jolie Myriam, son épouse, qui n'avait pour elle que d'être jolie. Mais, les temps étant différents, on se séparera sans bruit comme sans désobligeant prétexte. Tout assistant qu'il soit devenu au collège de France, Philippe ne surprendra pas sa femme avec un de ses élèves sur un canapé, et même montée sur un escabeau Myriam ne se laissera pas voir en bas de coton rayés blanc et rouge, comme la bourgeoise Mme Bergeret. Au reste, il n'y aura pas de mannequin d'osier jeté par la fenêtre. Les séparations d'aujourd'hui ne sont pas si spectaculaires. " Philippe, je veux m'en aller", dit Myriam. Et Philippe, avec beaucoup de courtoisie, lui répond : " Mais, Myriam, il y a déjà longtemps que tu es partie. " Pour en terminer sur le roman, précisons que la rupture de ce triste couple a son origine dans une erreur sur la personne. Philippe l'imaginatif s'est persuadé, comme il avait aimé Alice dans son jeune temps, puis une dame en bleu à Evian, et comme il aimera Denise par la suite, qu'il s'était pris d'une grande passion pour une jeune fille brune, vue chez des amis, dans un bal : cette Myriam. Il croit la retrouver plus tard ; il l'épouse ; ce n'est pas la même, d'où le désaccord, quand l'incompatibilité se prouvera. Entre temps (pourquoi M. Gréviste me reproche-t-il d'écrire toujours, par fausse élégance, entre tant, quand les deux formules se valent pour fixer des nuances différentes ? Tantôt il faut dire entre tant, et tantôt c'est entre temps que l'on doit écrire, comme ici, sans qu'il soit besoin de justifier l'une ou l'autre graphie : elles vont d'elles-mêmes), entre temps donc Philippe et Myriam se sont plu, physiquement ; c'est pourquoi dans les mariages les moins assortis on ne divorce pas dès le premier jour. Il faut cependant reconnaître que Philippe Desprès n'est pas, de sa nature, un homme à fixer. Il s'éprendra une fois d'une belle et d'une charmante Denise, femme mariée et mal mariée. Ils s'aiment, se conviennent, se plaisent ; et ils ne s'accorderont pas longtemps. Ils se sépareront eux aussi, invitus, invitam, sans qu'on sache pourquoi. Sans ressemblance avec son oncle Ernest, l'auteur du Voyage du centurion, M. Lucien Psichari, si spirituel et si gai, qui a en lui le plus souvent du Candide et quelquefois du Jérôme Coignard, serait-il un peu masochiste, aimant à souffrir pour le plaisir ? ou, plus montaigniste encore qu'on ne le croit, serait-il plus homme d'esprit que de sentiment, plus pourvu d'intelligence que de cœur, aimant plus l'amour que les créatures ? Libre à lui, cela le regarde. Mais la fin de son livre est indécise, et je ne sais trop que comprendre à son héros, qui a toutes les raisons d'être heureux et qui ne l'est pas, peut-être simplement parce qu'il ne veut pas l'être. Peut-être aussi parce qu'on ne peut pas l'être, certaine forme de nature étant. La partie " mémoires " du livre de M. Lucien Psichari est à décortiquer sous le roman. On y voit à travers leur fils un groupe de ces bons bourgeois intellectuels et libéraux de la fin du siècle dernier faire figure de ce qui a représenté la plus haute intelligence française pendant le premier quart de celui-ci. Il y a peu de métaphysique dans leur cas. Leur philosophie était empirique, et dans le nihilisme " fin de siècle " l'affaire Dreyfus avait été pour beaucoup d'entre eux une sorte de bouée de sauvetage : c'est à propos d'un seul, innocent et persécuté, qu'ils avaient découvert la justice, et dès lors sur la Justice avec un grand J fondé une conception honorable de l'homme et, au delà, de l'humanité, avant de la laisser devenir, au sens le plus bassement profitable, une politique. Les Després de Lucien Psichari sont donc des libéraux " de tradition dreyfusarde " jusque dans sa conséquence forcée, antimilitariste, apatriote, internationaliste, pacifiste, dont les grands hommes seront Jaurès, Caillaux, Briand, Léon Blum, tous idéalistes très sincères sans nul doute, mais dévirilisants et laissant le pays démuni contre le réalisme allemand. Les amitiés, les sympathies, les fidélités et les adhésions de M. Lucien Psichari sont manifestes et il est de trop bonne foi pour les camoufler, au risque de se laisser voir faire brusquement volte-face et devenir devant la défaite et sous l'occupation un patriote révolté, et pendant la Résistance même un bon combattant instinctif et sentimental. " O ma France, je t'aime et je te respecte ", dira-t-il au jour du malheur. Je le vois même, acceptant la simplicité des sentiments essentiels du temps de guerre où " tout est dit avant d'être pensé ", oser reconnaître, malgré le vieux rêve de paix universelle, qu'il regarde l'Allemagne " avec des yeux de feu " ; quand je me souviens des injures reçues en 1940 pour avoir exprimé la même chose et déclaré la haine nécessaire tant que nous étions sous la botte. Mais cela est déjà de l'histoire ancienne, et ces sentiments ne sont plus actuels s'ils restent avoir été justes dans leur temps. Sur ces variations et ces oscillations de l'histoire, comme elle se fait, s'est faite, bouge, a bougé et bouge encore sous nos yeux, le livre de Lucien Psichari incite à d'utiles, sérieuses et mélancoliques réflexions La prière d'insérer, bien faite, qui accompagne le volume, parle de son temps d'apprentissage comme si ce qu'il avait appris il y a dix ans, il y a vingt ans, était acquis et définitif, alors que notre apprentissage n'est jamais fini ; moins que jamais dans ce temps tournant et glissant, où tout va si vite. L'inactuel d'hier devient l'actuel d'aujourd'hui. Devant ce qui se passe en Afrique nous revoilà en 1940. Mais nous sommes sortis de l'abîme. Comment en sortir encore une fois ? Voilà de grands soucis évoqués à propos d'un livre joueur, de sagesse légère, d'intelligence souriante, et modèle d'art accompli. J'en aime la sincérité, la simplicité, le tour attentif et l'esprit, la chaleur surveillée sous tant d'humour et de familiale malice. Il est écrit non pour démontrer ou pour s'exhiber, mais avec plaisir et pour être lu avec plaisir par les connaisseurs. Dans mon purgatoire sur terre, à raison de cinq ou six volumes par semaine, trop souvent pour rien, c'est une joie qu'une telle lecture ; et le décousu de cet article, dont je me rends compte, prouve au moins la variété de ses détours. On aimerait s'entretenir avec Lucien Psichari de son immense connaissance des lettres, de l'histoire, de ses anecdotes, de ses amitiés, de ses sympathies. Je le vois tour à tour citer Lucrèce, l'abbé de Saint-Pierre, Ronsard, Racine. Fontenelle, évoquer le plaisant Voyage de Chapelle et Bachaumont, faire une allusion à Erasme, à Hans Carvel, à la fille de Descartes et à son automate jeté à l'eau, et, par un trait jovial et cru à propos d'Esope, donner le besoin d'aller chercher la référence dans Montaigne, à la toute dernière page des Essais. Je ne voudrais pas faire le pédant, mais je crois bien n'avoir trouvé M. Psichari en faute qu'une fois, quand il attribue à Murat, comme un exemple signalé de l'éloquence militaire dans une circonstance historique, le propos de Ney, galopant devant ses cuirassiers prêts à charger : " J'ai le cul rond comme une pomme ! Nous allons passer sur le ventre à ces salauds-là ! " Ainsi s'exprimait, dit-on, le brave des braves, quand il s'excitait lui-même à l'action, mais ce n'était pas dans la manière de Murat, au caractère harnaché, et dont on ne sait comment il parlait. Le titre du roman de M. Psichari, le Chien et la Pierre, est à expliquer, par un bref épisode du livre. Il s'agit d'un chien appelé Sphinx, aimé de Philippe Després, que son maître promenait au bord d'une falaise sur la mer. Un enfant lui lança un caillou à rapporter, mais dans la mauvaise direction, si bien que tout au jeu " l'un suivant l'autre, le chien et la pierre avaient décrit une courbe dans l'azur avant de s'abîmer ". L'image de cette chute absurde émeut, et elle peut être symbolique. Il arrive parfois qu'on prenne comme le chien un élan qui vous fait tomber dans le vide. M. Lucien Psichari a-t-il voulu dire que tout finit toujours ainsi ? Emile Henriot, Le Monde 16 avril 1956 ‎

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