15/04 SUPERBE LETTRE DAMOUR À WANDA KOSAKIEWICZ PENDANT LA DRÔLE DE GUERRE : Sartre se réjouit davoir « enfin » reçu sa lettre… Il lui fait part de ses réticences vis-à-vis de « la femme lunaire » [une ancienne maîtresse Marie Ville, rencontrée à Berlin en 1934] et lui conseille de la tenir à distance.Sartre raconte ensuite ses impressions sur la soirée théâtrale de la veille…Extraits :« Jai enfin reçu aujourdhui ta charmante petite lettre et je suis bien aise de navoir pas râlé, ces jours de silence, je ne saurais plus où me fourrer à présent. Mais pourquoi as tu si peur de te fâcher avec moi ? Si ce nest pas toi qui te fâche la première, mon cher amour, nous voilà tout bien ensemble pour longtemps. Si tu savais comme au plus profond de mon cœur je me sens incapable de colère ou de rancune après toi, tu naurais plus peur de casser des glaces. Elles viennent de te vouer chacune à 7 ans de malheur, total 21 ans. Mais cest trop. A mon avis il faut tirer au contraire de cette exagération même quelque réconfort et je ne serais pas loin de penser que cela te présage quelque bonheur imminent ».Samedi soir, jai donc été au « théâtre aux Armées ». Je ne te lécrivais pas hier, parce que je suis comme toi : je tremble comme la feuille dêtre brouillé avec toi (mais moi, depuis lhistoire Gibert [Colette Gilbert, une ancienne maîtresse de Sartre], jai des raisons davoir peur). Ça nest dailleurs quun très mince petit événement. On était empilés comme des figues sèches dans un minuscule et austère foyer protestant. Au balcon les officiers, invisibles, sauf de temps à autre, les cheveux blancs du général. En tas nous autres. Pieter [autre soldat, Pieterkovski] et moi nous étions debout sur le côté, nous voyions une mer de calots. Le rideau sest levé et on a donc vu ces soldats mon dieu que cétait triste de les voir nous distraire habillés en soldats »…Mais il y avait un assez bon jazz, copié sur celui de Ray Ventura, mais avec des soldats derrière les pancartes de bois qui portent chacune une lettre du nom du Jazz. Ils ont joué deux fox et puis ils ont annoncé deux rumbas. Et comme cétait samedi soir, jour de bal nègre et que on ne mavait pas écrit depuis deux jours, le cœur ma tourné de jalousie poétique, je pensais que tu étais en train de danser la rumba avec les nègres, que tu étais dans ton monde nègre, ce mon rougeoyant et sensuel où je ne peux pas te suivre, où tu es seule. Ça métait presque insupportable dentendre ces rumbas et pourtant je les trouvais superbes… Cest que, tu sais, dordinaire je pense à toi au passé, ou dans lavenir ou dans léternel. Mais dieu soit loué, je nai pas trop le sens de la simultanéité, ça me ferait rugir comme un tigre de mimaginer que tu es à présent ici ou là. Et là, ces rumbas me la découvraient malgré moi, cette simultanéité. Cest un drôle de truc. Pour moi la jalousie cest presquexclusivement le sens de la simultanéité. Je ne suis dailleurs pas trop malheureux dêtre jaloux de toi parce quil y a quelque chose de violemment sensuel dans ma jalousie (…) Dehors cétait un charme de nuit. Je taime formidablement, mon amour, je suis tout feutré dun long désir pour ton cher petit corps, ça ne me quitte pas, je voudrais te revoir, chère petite personne, entendre ta voix et revoir un de tes visages tendres. Je ne tai jamais aimé aussi fort…
Reference : 3429
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